Face aux défis soulevés par les logiques de concentration dans les champs de l’art, de la culture et des médias (emprise de grands groupes privés dans le domaine musical et des médias, rôle des GAFAM, etc.), la question de l’indépendance de l’activité artistique ainsi que des producteurs culturels et médiatiques est remise sur le devant de la scène, sur fond d’autonomisation progressive du champ artistique, de professionnalisation de la culture, ainsi que des nouvelles orientations du champ des médias (édition et plateformes numériques, journalisme citoyen, etc.).
Le réseau européen Reset! illustre ce mouvement de structuration d’acteurs de la culture se définissant comme indépendants – n’appartenant ni aux grands groupes des industries culturelles ni à l’offre publique de culture. Lancé en avril 2022 à l’initiative de l’association culturelle française Arty Farty Arty Farty est une entreprise culturelle sous statut associatif, qui mène des projets au service de la jeunesse, des cultures innovantes, du renouvellement démocratique et de l’intérêt général., il comprenait 34 membres dans 16 pays à sa création. En 2024, il en comprend 85 dans 25 pays : acteurs culturels, médias indépendants et quelques institutions publiques locales.
L’OPC accompagne le réseau Reset! à travers une enquête sur ses structures membres et la notion d’indépendance qu’elles mettent au travail. Comment qualifier cette catégorie d’acteurs culturels dits indépendants en Europe ? À partir de quelles représentations se construit-elle au sein du réseau ? Quels usages politiques et institutionnels de l’indépendance peut-on identifier de la part des membres du réseau ? Quels sont les besoins spécifiques des acteurs indépendants ? Quelles disparités ou variations géographiques, sectorielles ou autres peut-on mettre en évidence ? Comment entre-t-on en indépendance – et en sort-on ? Quelles valeurs d’ordre culturel, social et politique sont mises en avant par les membres du réseau ?
Reset! offre un terrain unique pour une étude des visions et des dynamiques de l’indépendance à travers la mise en réseau. Il permet d’aller plus loin qu’une étude de cas limitée à un domaine d’activité, à un pays ou à une ville. Il offre une possibilité de croiser et confronter les perspectives des acteurs qui se caractérisent par une diversité géographique et sectorielle, mais qui se réunissent autour d’un projet et de défis communs.
Au regard de l’activité du réseau Reset! et de ses membres, en mobilisant plusieurs sources (collecte de données par questionnaire, réalisation d’entretiens semi-directifs avec des représentants des structures du réseau, analyse de la documentation du réseau, observation), l’enquête interroge de façon dynamique la construction d’une catégorie de l’indépendance dans le domaine culturel, artistique et médiatique, en examinant plusieurs dimensions : indépendances économique et politique (coopération avec les partenaires privés, avec les institutions publiques et les mouvements politiques, engagement dans le débat public…), indépendance éditoriale et d’expression artistique...
Cette enquête réalisée en 2022-2023 par Anne-Marie Autissier (sociologue, maître de conférences émérite à l’Université Paris 8) et Yauheni Kryzhanouski (docteur en science politique, chercheur associé l’Université de Strasbourg [SAGE] et l’EHESS Paris [CERCEC]) privilégie une approche dynamique de l’indépendance des acteurs de la culture et des médias, qui tient compte de la diversité de ses conceptions dans différents contextes nationaux, politiques, historiques et sectoriels.
Elle pointe une série de contradictions et de tensions qui poussent les acteurs « indépendants » à questionner constamment leurs pratiques et objectifs afin d’élaborer des modèles d’action adaptés : contradiction entre caractère commercial de l’activité et ethos de l’engagement désintéressé, contradiction entre professionnalisation et passion, institutionnalisation professionnelle et vocation.